Plaidoyer en faveur d'un patrimoine éphémère et précieux : Les graffitis anciens dans les fortifications.
Des détails, parmi les plus intéressants ou émouvants, ne se dévoilent que rarement au regard du promeneur voire de l’amateur, même averti. Il faut alors adopter une posture toute particulière où le mental et la vision se conjuguent pour découvrir ces petits riens, souvent fragiles. S’agissant de fortifications, on y compte, au premier chef, les graffitis ainsi que les marques lapidaires laissées par les occupants d’un espace très particulier où l’ennui est souvent prégnant !
Typologie des graffitis anciens dans les fortifications.
Nombre de graffitis sont de la main des sentinelles qui, à l’aune de longues périodes de garde, s’essayaient à tromper l’ennui en gravant quelques initiales ou dessins sur les murs à proximité du poste de faction. D’autres expriment l’insatisfaction ou l’espoir d’une proche libération… qu’il s’agisse de prisonniers ou de simples appelés !
Enfin, on peut également découvrir des messages patriotiques, un usage tactique, des œuvres à caractère artistique… l’éventail des situations qui peuvent être observées est probablement sans limites.
Technique et problématique liée à leur conservation
Les techniques utilisées se caractérisent, toujours, par leur simplicité : la pointe d’un clou, la lame d’un couteau, un crayon et, plus rarement, au moins avant l’époque des tags, la peinture.
Plus qu’une longue dissertation, il s’agit de sensibiliser le lecteur de ce blog, à l’aide d’une série d’exemples, aux différentes situations qu’il peut être amené à rencontrer. On verra que ces témoignages, qui ont su braver le temps, représentent un témoignage aussi précieux que fragile : fragilité des supports, variations climatiques, mais, plus encore, l’incurie liée aux actions de l’homme !
En effet, entre les tags sauvages, les aménagements ou restaurations malheureux — le, trop fréquent, coup de badigeon pour « faire propre » —, ce sont souvent ces dernières actions qui présentent un caactère irréversible.
Ces destructions ne sont pas seulement le fait de quelques « sauvageons », mais, aussi, de certains professionnels, dont quelques architectes du patrimoine et al., qui interviennent de manière malheureuse, au mieux par méconnaissance…
Conclusion
En pratique ce patrimoine n'est presque jamais protégé et se trouve de facto d'autant plus menacé. Il s'agit alors d'intégrer cette thématique, dans le cadre plus large de l'intérêt pour la conservation des fortifications, dans toutes les réflexions et aménagements. Les quelques exemples qui suivent permettront d'éclairer, au mieux, le sujet.
Plus qu’un simple billet, il faudrait y voir un plaidoyer, certes modeste, en faveur de la conservation d’un patrimoine aussi riche que fragile !
Graffitis & fortifications… Morceaux choisis.
Pour conserver une dimension restreinte à ce billet,à propos d'un thème qui nous est cher, il a fallu opérer des choix drastiques car il ne peut s'agir que de quelques exemples.
---- En cliquant sur une illustration quelconque, il est possible de la découvrir dans une meilleure résolution ---
Place forte de Brouage
Des exemples parmi les plus anciens et les plus beaux… Gravés dans la pierre et bien conservés malgré un climat peu favorable.
Brouage - de magnifiques vaisseaux gravés dans la pierre lorsque la citée fonctionnait encore comme un port ! |
|
Des graffitis de main militaires jusque sur des édifices peu usuels… La cathédrale de Freiburg-in-Breisgau (Pays de Bade, RFA)
Si de nombreux graffitis d'époque médiévale peuvent être relevés (mesures pour le pain…) ont découvre également des canons et des signatures de soldats, du 18e à la fin du 19e siècle. L'explication est simple : un important poste de garde — aujourd'hui « Die alte Wache » — jouxtait la cathédrale !
Cathédrale de Fribourg en Brisgau — Pièces d'artillerie (2e moitié du 18e s.) |
|
Cathédrale de Fribourg en Brisgau — La garde comprenait toujours un ou plusieurs tambours |
Cathédrale de Fribourg en Brisgau — La garde comprenait toujours un ou plusieurs tambours |
La citadelle de Bitche… Des geôles du 1er Empire à 1945.
Citadelle de Bitche — Exceptionnels graffitis laissés par des officiers de la Royal Navy, prisonniers à Bitche durant le 1er Empire ! |
Citadelle de Bitche — Ligne Maginot « Les 50 rescapés 37e RIF », souvenirs de soldats U.S., etc. |
|
Citadelle de Bitche — Graffitis du 19e s. |
En Allemagne aussi… Souvenir de faction à la forteresse de Koblenz (Festung Ehrenbreitstein)
Sur le littoral… Tour-modèle 1811, Pointe de Cornouaille.
Avant d'accéder à la plate forme, on découvre, ce vaisseau… Ce graffiti reste néanmoins difficile à dater, tout l'éventail du 19e siècle serait disponible.
La place forte de Neuf-Brisach… Une richesse inouïe, mais un patrimoine menacé.
Il y a quelques semaines j'ai complété l'inventaire débuté par l'excellente Lucie Jeanneret (Archéologie Alsace) dans ce secteur que j'avais jusqu'alors négligé. Les découvertes furent riches et ont, bien évidemment, fait l'objet d'un inventaire exhaustif.
Les graffitis, en fonction du support, sont soit gravés en creux à l'aide d'une pointe de clou ou de couteau, soit réalisés au crayon.
Bien qu'à l'abri des intempéries, le support n'en reste pas moins très fragile et sa sauvegarde n'est pas assurée…
Période allemande 1872-1918
Mélanges… 1908 — 1909 – CHATAFRAUL ?LARU? – 1987 encadré (anc.) — 1906 — Message en morse sur deux pierres, vers 1930-35 (les transmissions ont laissés quelques autres souvenirs) et, surtout, « Souvenir d'un prisonnier qui en a mare. Un Vosgien PH » (s.d. vers 1916-1917) !
Il ne s'agit pas de graffitis, mais son caractère exceptionnel et dont les jours sont désormais comptés mérite qu'on l'illustre ici… Un tableau patriotique réalisé à l'aide punaises et d'emballages de paquets de cigarettes. On peut le dater avec certitude de 1917.
Malheureusement dans un état très délabré, à tel point que sa sauvegarde est impossible, on y trouve les messages patriotiques classiques : "Gott mit uns" "1914,1915,1916, 1917 … Krieg"
L'ensemble résulte du découpage d'étuis à cigarettes (cf. infra) : "Gabaty BERLIN-PANKOW AKT 10 Zigaretten o./M/ Trustfrei" (nota : "Trustfrei", comprendre "Trust frei", indique simplmeent que ces cigarettes ont été produites par des firmes indépendantes des capitaux anglais ou américains).
Période française, 1919-1939
Il est souvent fait référence de certains nombre de jours au jus… Il est issu du fameux « zéro au jus », indiquant la fin du service. La question qui se pose serait de savoir quel est le rapport entre le jus et le jour. L’explication se trouverait dans le langage argot où le jus désigne le café du petit déjeuner qui a pour rôle principal de rythmer le début de chaque journée.Neuf-Brisach, tour bastionnée n°2 — « Libre dans le travail. Le sommeil et la table. Vous aurez l'esprit libre. Et la santé durable » |
En montagne aussi — Place forte de Mont-Dauphin (vers les années trente jusque 1950)
La remarquable caserne Rochambeau…
Les graffitis sont particulièrement riches (et jouissifs) dans le secteur des locaux ds-disciplinaires… Prisonniers et gardiens partagent la passion des des graffitis !
Mont-Dauphin — Graffitis sur la porte d'une cellule (extérieur) |
Mont-Dauphin — « Hôtel des courants d'air. A vendre 5 sous. Libre depuis 2 jours. A louer un casa » |
Sic ! |
Mont-Dauphin — "Nous qui n'avons pas peur des boches pourquoi…" — "Garde aux tolards. 4eme Compagnie du 14 janvier au 15 Caopral Mat André, Soldats Sibert Georges Rostaing J…" |
Un Anglais ou un Américain en 1944…
Mont-Dauphin — "Sandrik was here and MNES" (1944) |
Mais encore, le graffiti jusque dans les années cinquante…
Des lieux et des circonstances moins communes… Prisonnier français à Erfurt (Zitadelle Petersberg) en 1914-1918.
Un prisonnier français, affecté au nettoyage des latrines des soldats et des sous-officiers… Il s'exprime sur un mur de ce dernier local…
« A bas les boches » (sic.) ! |
Retour en Alsace et dans le temps… le Fort Mortier !
Le fort Mortier est fort d'une longue histoire militaire — de 1675 à 1945 — et on y découvre une multitude de graffitis dont l'inventaire à toutefois demandé des efforts tous particuliers… J'en profite pour remercier la mairie de Volgelsheim pour avoir accédé à mes souhaits en mettant à ma disposition d'importants moyens !
Fort Mortier — Inventaire des graffitis sur la porte monumentale |
Fort Mortier — Magnifiques graffitis des années 1820 au niveau de la porte. |
Les graffitis se cachent partout… jusque dans les anciennes guérites tôle-gravier allemandes…
Fort Mortier — Années trente : « La politique ruine la France » (sic.) |
Des témoignages qui s'estompent maintenant très rapidement et irréversiblement en raison d'n substrat très fragile. La mémoire reste conservée… J'ai pu réaliser l'inventaire en temps utiles !
Fort Mortier — Message en morse (s.d. vers 1935-1940) |
|
Il est des graffitis qui restent presque invisibles : on passe et repasse devant, sans les voir, jusqu'au jour où…
Fort Mortier — « Rhin français » (s.d. probablement vers 1920) |
Mais encore en 1945, souvenir des combats de la poche de Colmar…
Fort Mortier — « Passage du 27ème R.I. 9ème Cie — Ex Régiment du Morvan F.F.I. arrivé le ?/?/45 départ ??? » |
Enfin, lorsque le « tag » se révèle intéressant : abri-caverne du Petit-Réderching !
Abri-caverne du Petit-Réderching… Poste de secours U.S. — croix rouge et « Medic » — réalisé durant les combats de 1945. |
Commentaires