Un livre, un jour… Rotberg. L'ingénieur moderne, ou essai de fortification [1756]. Une critique sévère et injuste de Vauban !
Il y a des ouvrages qui interrogent et le suivant, une acquisition récente, n'échappe pas à cette règle :
Un système complexe et onéreux. En un mot… inapplicable ! |
ROTBERG (Baron de) - L'ingénieur moderne, ou essai de fortification, Qui enseigne la Méthode de construire & fortifier des Places capables de résister aux vigoureuses Attaques de notre tems, & de remédier aux Défauts des Places bâties suivant d'autres Maximes. La Haye, Frederic-Henri Scheurleer, 1756 ; in-8, (5), 224 pp. VIII pl. dépl. h-t.
Rotberg (Franz Daniel von ?) est un auteur difficile à cerner puisqu'on ne dispose, en l'état, que de peu d'informations à son propos. Il est cité par Jähns (p. 2753) et Jordan (3217) [ndr notre ami Klaus Jordan, un érudit et un grand collectionneur d'ouvrages anciens avec lequel nous échangions très régulièrement, aurait certainement été d'un grand secours]. Ils permettent de préciser que l'édition princeps a été publiée à La Haye par Scheurleer en 1744, rééditée en 1756 par le même éditeur (l'ouvrage présenté ici, apparemment sans modifications majeures) et, enfin, à Leyden en 1782. Régulièrement réédité, mais toujours aux Pays-Bas et en langue française, cela semble témoigner de l'intérêt que lui portait les lecteurs.
Aujourd’hui, sur un plan bibliophilique, il s’agit d’un ouvrage que l’on peut qualifier de rare.
L’ouvrage se divise en trois parties.
• Une introduction à l’art de la fortification, faisant souvent référence de manière très critique à Vauban ;
• La seconde partie traite de la construction d’une place ;
• La troisième de la défense et de l’attaque.
Rotberg explique comment les fortifications existantes peuvent être adaptées aux standards « modernes », les siens, afin de pouvoir résister aux attaques !
Son discours préliminaire éclaire son propos. On peut souscrire, sans réticence, à la première phrase : « On a vu paraître des systèmes de fortification, qu’on pourrait croire avec justice qu’il ne se peut rien publier de nouveau en ce genre. En les considérant tous, on s’étonnera comment on a pu parvenir à tant d’idées différentes, entre lesquels il y en a assurément beaucoup plus de bizarres, & mêmes d’impraticables, que celles appuyées sur de bonnes Maximes & capables d’une longue défense ».
Rotberg ayant traduit l’ouvrage de Menno van Coehorn « Nouvelle fortification » en français, en 1741, on ne s’étonnera guère de la prise de position suivante: « Les Français rangent au nombre de ces dernières la manière de fortifier de feu Mr. de Vauban. Mr. de Coehorn n’est pourtant pas de ce sentiment ; & il a suffisamment fait voir le peu de cas qu’on en doit faire, dans le Traité des fortifications qu’il a publié. ». Après tout, c'est de bonne guerre !
On pourrait même admettre le propos suivant : « Tout le monde admire aujourd’hui le chef-d’œuvre de Mr. de Vauban exécuté à Neu-Brisac [Neuf-Brisach] en Alsace. Mais pourquoi ? & pour quelle raison ? Sans le savoir, on répond généralement : Puisque tout le monde en est persuadé sur le rapport même des Français. Assurément, belle preuve ! ». En effet, les Français, aujourd'hui encore, tendent à appliquer ce schéma.
La suite devrait toutefois laisser le lecteur pour le moins dubitatif : « Pour moi, je ne le regarde pas du même œil ; car je me fais fort de prouver par de bonnes raisons, que Neu-Brisac est très mal exécuté, selon le système & les maximes que l’auteur a bien voulu l’appliquer & le construire. […] Je ne ferai donc point difficulté à avancer que la méthode de Mr. de Vauban n’est bonne que pour l’usage des apprentis, par rapport à la facilité de sa construction ; mais que pour la pratique, on la peut ranger au nombre des systèmes qui ne méritent pas qu’on y fasse attention [… ] » ! La critique est sévère au regard des qualités dont a su faire preuve Vauban tout au long de sa carrière. Certes, la place de Neuf-Brisach présente quelques défauts dont aucun n'était cependant rédhibitoire.
Cette charge contre Vauban et, plus généralement, l'école de fortification française est d'autant plus inappropriée que la lecture du traité montre que l’auteur propose un système lourd, inutilement complexe et fort éloigné de l’élégance de Vauban ! Le dogmatisme — un parti pris pour les écoles de fortification germanique et hollandaise — a pris le pas sur la raison.
Pourtant, une lecture plus attentive met en évidence quelques idées intéressantes dont quelques-unes seront développées, plus tardivement, dans le cadre de nouveau front de fortification prussien. D'autres propositions sont plus originales et méritent quelque d’attention. on peut citer les logements à l’épreuve disposés sous le glacis et destinés à héberger les troupes affectées à la défense du chemin couvert.
Pourtant, il y a là quelques idées intéressantes ! |
Dr Balliet J.M., le 21 sept. 2019
Commentaires