Éloge de la « Bunker archéologie », Paul Virilio (1932-2018), agrémenté de quelques réflexions à propos de « Bunkerarchéologie »

VIRILIO P. - Bunker archéologie. Paris, Centre Georges Pompidou - Centre de Création Industrielle, 1975 — couverture originale (cliché et fonds Balliet)

Cet ouvrage a été publié pour la première fois à l’occasion de l’exposition « Bunker archéologie — Paul Virilio » organisée par le Centre de Création Industrielle et présentée au musée des Arts Décoratifs à Paris du 10 décembre 1975 à fin février 1976 à la demande de François Mathey.

Ce premier ouvrage de l’urbaniste, architecte et philosophe Paul Virilio (1932-2018) jouit aujourd’hui d’une très grande notoriété. Cette édition originale, aujourd’hui une véritable rareté bibliophilique, est fort prisée des amateurs d’architecture comme de photographie.

VIRILIO P. - Bunker archéologie. Paris, Centre Georges Pompidou - Centre de Création Industrielle, 1975 ; petit in-4, 183 pp.

L’auteur, un enfant nantais qui a connu les affres du second conflit mondial, propose le fruit d’un travail de recherche itinérante de plusieurs années le long de la côte française atlantique. Conjuguant une approche philosophique à des traits architecturaux où domine le minéral, le dépouillement du mur de l’Atlantique, Paul Virilio propose une approche inédite, jamais égalée, qui correspond à un jalon important dans son œuvre. Son travail photographique en noir et blanc, des clichés réalisés de 1958 à 1965, réalise un témoignage important. La richesse et profondeur des textes de Virilio, servis par un style élégant, doit être soulignée et devrait, aussi, inspirer nombre d’historiens de la fortification ! 

S’il a été réédité en 2008 chez Galilée dans la collection L’espace critique dirigée par l’auteur, le format est réduit et la place laissée à la reproduction des travaux photographiques de l’auteur est bien modeste (cf cliché ci-contre).

VIRILIO P. - Bunker archéologie. Paris, Galilée, 2008 ; in-8, 130 pp.

Une autre réédition, aujourd'hui épuisée, a été proposée par Les Éditions du Demi-cercle en 1991.

Enfin, Princeton Architectural Press propose une réédition, cette fois en langue anglaise, qui intègre non seulement les superbes illustrations de l’É. O. — un mur de l’Atlantique encore sans tags ravageurs ! — et qui semble, actuellement, encore disponible [2e éd., 2007].

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Paul Virilio, un parcours hors-norme.

Attentif aux choses de la guerre, il s’inquiète très tôt de la fragilité du monde urbain. Dès 1958, il entreprend une étude phénoménologique des espaces militarisés, en particulier sur les casemates — « bunkers » — du mur de l’Atlantique construit par les Allemands durant le second conflit mondial. En 1963, il fonde avec Claude Parent, le groupe Architecture Principe, puis publie un premier manifeste pour une architecture oblique. Tous deux professeurs à l’École spéciale d’architecture (ESA) à Paris, ils forment dans leur atelier plusieurs grands noms de l’architecture contemporaine française, comme Jean Nouvel.

En 1979, Paul Virilio a fondé, avec le géo-politologue Alain Joxe, le Centre interdisciplinaire de recherche de la paix et d’études stratégiques à la Maison des sciences de l’homme à Paris. Outre son intérêt pour la polémologie et les milieux défavorisés (en 1992, il fait ainsi partie du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées).

Curieux de tout, il dénonce dès 2011 la tyrannie de l’instantanéité induite par les nouveaux réseaux de transmission, les précurseurs des réseaux sociaux actuels.

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« Bunker archéologie »

Si, dans le cadre de cette publication, il n’est pas possible de restituer la qualité des illustrations, propriété intellectuelle et artistique oblige (on propose simplement les vues partagées publiquement par l'éditeur Princeton Architectural Press), certains propos de Paul Virilio m’ont profondément marqué et orienté quelques-uns de mes travaux de recherche, en particulier lorsqu’il s’agit de l’organisation de l’espace autour des fortifications. Parmi les plus marquants — un choix personnel très parcellaire —, je citerai les extraits suivants qui témoignent de la profondeur de ses réflexions dans le champ qui nous intéresse :

• Pour moi, l’organisation de l’espace irait de pair avec les manifestations du temps.
• Le champ militaire est toujours un champ d’action, celui du duel, de la bataille.
• À la prise en charge des mouvements tectoniques et géomorphologiques par le géologue, le militaire adjoint et superpose celle des potentialités d’utilisation du site par les troupes et leurs divers moyens de communication et de destruction.
• La géographie des armées est une géographie dynamique.
• Les progrès de la topographie sont issus, depuis le 16e siècle, des nombreuses guerres européennes ; comme si les progrès de l’armement et de la manœuvre occasionnaient aussi celui de la représentation du territoire ; comme si la fonction de l’arme et celle de l’œil étaient indifféremment identifiables l’un à l’autre.
• L’économie de la guerre tendait, pendant plusieurs siècles, à transformer le paysage humain en réduit défensif par une congruence des fortifications.
• La construction des infrastructures stratégiques et tactiques au cours des âges n’est en fait qu’une archéologie de la rencontre brutale.
• La concentration et la congruence des systèmes de fortification annonçaient, dès l’apparition de la poudre à canon, la réduction de l’habitat planétaire lui-même par des mobiles à hautes performances (avions à réaction, fusées, satellites).

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Un avatar de la « Bunker archéologie »… la « Bunkerarchéologie » ?

Ces dernières années, un intitulé se trouve assez fréquemment sur Internet et au sein de quelques publications : « Bunkerarchéologie ». Ce succès, dont chacun appréciera le caractère relatif ou non, trouve son inspiration, sans jamais le citer, dans le remarquable travail de Paul Virilio !

Bukerarchéologie, un néologisme. 

La construction du mot est, en elle-même, quelque peu étrange : d’abord un néologisme de forme — un mot forgé —, le néologisme de sens (néosémie) n’est pas exclu puisque cela correspond à l’emploi de mots qui existent dans le lexique d’une langue dans un sens nouveau. Là où le célèbre urbaniste, architecte et philosophe Paul Virilio, le véritable auteur de la « Bunker archéologie » fait figure de précurseur en associant avec élégance deux mots, qui restent bien distincts, à un extraordinaire corpus de réflexions, l’usage actuel du néologisme se révèle bien plus fruste. En effet, comme en toutes choses, le meilleur côtoie le pire : d’un côté, un aspect scientifique dans l’analyse que suggère l’utilisation du vocable « archéologie », de l’autre une admiration, parfois à peine masquée, pour une idéologie guerrière de sinistre mémoire. De manière factuelle, le premier aspect fait souvent défaut, il suffit pour s’en convaincre de consulter nombre de publications sur le sujet. Elles sont souvent largement truffées d’erreurs : de traduction lorsqu’il s’agit d’une maîtrise approximative des langues étrangères, plus particulièrement l’allemand, l’usage abusif de constructions linguistiques dépourvues de sens lorsqu’il s’agit d’artillerie et de fortifications (exp. les fameux « encuvements »…) mais surtout l’absence de tout processus scientifique dans la rédaction des ouvrages et articles, la plus basique étant de citer et de référencer ses sources.

Un ramas de réflexions.

Ce propos pourrait apparaître outrancier, provocant ou le ferment d’une polémique, certainement inutile, puisque ce n’est pas mon propos ! En effet, la plupart de ceux qui se revendiquent de la « Bunkerarchéologie » s’inspirent d’une démarche louable. Elle consiste tout simplement à découvrir, voire à décrire, des ouvrages défensifs, parfois oubliés et/ou en passe de disparaître. La nécessaire rigueur d’une démarche scientifique ou archéologique au sens propre de ce terme leur est étrangère et ne représente pas un élément moteur lorsque le partage sur les réseaux sociaux, voire in vivo, correspond aux orientations essentielles.

Si, à titre personnel, je regrette le trop fréquent « manque de rigueur », y compris par certains « spécialistes », il ne faut pas oublier que cette rigueur est le fruit d’un (long et rigoureux) apprentissage qui ne supporte que rarement l’amateurisme ou l’autopromotion. Toutefois, dans le même registre, à l’image de ces fameux « stratèges en chambre », je considère que l’historien, surtout s’agissant de fortifications, doit sans cesse se confronter au terrain afin de réaliser une synthèse entre les indispensables fondamentaux amenés par la théorie et les approches épistolaires et les applications pratiques, souvent aussi variées qu’étonnantes. La démarche de l’archéologue, même si elle reste parfois imparfaite, est en cela un modèle à suivre !

Réaliser un choix entre « Bunker archéologie » et la « Bukerarchéologie » ?

Les deux se conjuguent car ils trouvent des publics probablement distincts, surtout à l'aune de l'audience des réseaux sociaux.

En définitive, il appartient à chacun, en fonction de sa culture, de ses goûts, voire de ses appétits, d’en apprécier la pertinence et il est d’ailleurs aisé d’extrapoler ces quelques réflexions à des publications d’apparence plus académique proposées par des auteurs, parfois très prolixes !

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Orientations bibliographiques et sitologiques

VIRILIO P. - Bunker archéologie. Paris, Centre Georges Pompidou - Centre de Création Industrielle, 1975.

VIRILIO P. - Bunker archéologie. Paris, Galilée, 2008.

Une recension d’une grande qualité de l'ouvrage de P. Virilio est proposée par un libraire sur le blog « Charybde 27 »

Dr Balliet J.M. — 19 décembre 2020