La tour d'artillerie des Hebihens (Bretagne Nord)… Un leg modeste mais apprécié de Vauban !
Tour des Ebihens — Plateforme d'artillerie et tourelle observatoire |
Quand on associe le nom de Vauban aux tours de défense littorales construites au XVIIe siècle, des sites comme Camaret, Tatihou ou Saint-Vaast-la-Hougue viennent spontanément à l’esprit. Pourtant, parmi les rares vestiges subsistants encore aujourd’hui on en compte quelques autres, plus particulièrement, la magnifique tour d’artillerie et d’observation des Hébihens.
Elle a été construite suivant le projet de Vauban sur l’île des Hébihens, en regard de Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-d’Armor, Bretagne Nord).
Elle offre aujourd'hui un véritable écrin à cette tour !
La tour dans son écrin… les Ebihens.
Plus qu'un long discours, quelques clichés devraient convaincre, même les plus rétifs, de la qualité de ce paysage !
Depuis le Château fort du Guildo… l'estuaire de l'Arguenon, au fond, à droite, l'île des Ebihens |
Les origines de la construction de la tour
Située entre le cap Frehel qui comprend une tour fanal du 17e quelque peu similaire et la ville de Saint-Malo, la tour occupe un emplacement de choix destiné à couvrir la baie de la Fresnaye, alors particulièrement vulnérable à une descente voire un débarquement d'ampleur des Anglais et, plus largement, Saint-Malo.
Le site est repéré par Vauban à l'occasion de l'attaque anglaise contre Saint-Malo de 1 693. En mai 1694, il propose la construction d’une tour-réduit sur l’île intégrée à un vaste ensemble de batteries de côte et retranchements qui ne seront toutefois exécutés que très partiellement.
Projet pour le dispositif de la garde de Saint-Malo et ses côtes, mai 1694, par Vauban : « Elle [l'île] est d'autant dangereuse que n'étant point gardée, 10 000 hommes y peuvent prendre terre sans empêchement dans le temps d'une marée de vive eau, et quand la mer est basse, marcher en bataille à la terre ferme par un espace de 150 toises de large qui assèche totalement et cela par des sables fermes comme un plancher. [...] La pierre de taille, le moellon, le sable et l'eau sont sur le lieu et sous la main. Il n'y manque que de la chaux qu'il [Monsieur de Pontbriand] trouvera bien ».
Plan de lille et rade des Ebihens weüe a la basse marée des équinoxes quy a esté le 2e, 3e et 4e avril 1703. auquels jours les positions et les sondes ont estés prises exactement
Dessin à l'encre de Chine et aquarelle — BnF, département Estampes et photographie, EST VA-22 (2)
« La tour a été commencée et 1694 et finie en 1696.On a basty une chapelle au proche dédiée alange gardien a touttes les marées. La mer entoure toute lisle, a my marée le passage se ferme, dure six heures fermé et a my ébé le passage est ouvert depuis l'abbaye St Jacut jusqu'à lisle par une belle grève solide. Toute la grève depuis la teste debihens même le long du relai des marées est ferme et solide même pour les chevaux […] »
aaa — Sont trois batteries que M. de Vauban fit marquer pour défendre la rade et la descente.
bb — Terrain de dunes moins élevé que le reste de l'île et bien à la portée du mousquet de la tour.
A. Le port de la Chapelle où l'échouage est très commode.
Afin de financer la tour des Hébihens sans qu'il en coûte un sou au roi, on s'inspire du marché qui avait permis la construction de l'église de Saint-Briac quelques années plutôt : le comte Louis de Pontbriand, capitaine garde-côte, s'engageait à mettre à disposition en avance le revenu de la pêche aux maquereaux de ses quelque 25 bateaux qui travailleraient pour cela les dimanches et jours fériés du mois de mai, saison de la pêche.
Le dessin des plans et l'exécution des travaux sont confiés à l’ingénieur Siméon Garangeau, Directeur des Fortifications de Haute-Bretagne, suivant le projet élaboré par Vauban. Il commence par reprendre le site voisin du château de La Latte avant d'entreprendre les travaux aux Ebihens.
Trois campagnes de travaux sont nécessaires. La première est commencée en 1695 alors qu'en juillet 1695, les Anglais étaient revenus devant Saint-Malo. Dès 1696, d'après un rapport de Garengeau (Rapport sur l'isle des Esbiens, du 16 août 1696), les travaux sont très avancés : « […] Est nécessaire de faire un fossé au devant de la porte d'entrée de la tour des Esbiens, même un espèce de ravelin pour la couvrir, y faire un parapet percé de créneaux, un fossé au-devant, une porte, pont levy et dormant qu'on garnira de toutes les ferrures nécessaires ». L'emplacement souhaité des trois batteries est discuté : « ll seroit besoin de trois batteries pour empecher l’approche de l'isle, deffendre et protéger les mouillages, mais au moins de deux présentement. L'une à la pointe du costé du nord, et la deuxième à l'autre extrémité sur celle du costé du sud, toutes deux aux lieux ou elles ont esté tracées, y faire à chacune un parapet percé de six embrasures et revêtir leur parement extérieur de maçonnerie […] » [Brisou D. Vauban aux Ebihens. p. 6]
D'après le procès-verbal établi par Garengeau le 20 juillet 1697, les travaux sur la tour sont achevés : « En présence du dit sieur de Pontbriand, nous avons pris lecture du devis par nous parachevé pour la construction de cette tour, en date du 26 juin 1694. Ensuite de quoy, nous l'avons vue, visitée et examinée de part et d'autre et de fonds en comble et en avons trouvé les ouvertures bien et duement faites, suivant et conformément aux devis, plans, profils et élévations faites par M. de Vauban […] » [ibid. p. 8]
Description architecturale
Tour d'artillerie et observatoire…
L'aspect général se rapproche sensiblement des projets contemporains élaborés par Vauban, plus particulièrement ceux exécutés à Tatihou et la Hougue : des tours tronconiques à escalier hors œuvre servant d’observatoires et de plateforme d’artillerie.
La tour, construite de granite et haute de près de 17 m, se présente sous une forme tronconique.
Elle comprend quatre niveaux desservis par un escalier en spirale, abrité pour partie dans l'épaisseur de la muraille de la tour et dans une sorte excroissance de la tour :
- Un cellier voûté à l'épreuve servant de magasin à poudre et aux vivres ;
- Deux niveaux permettant de réaliser des feux de mousqueterie. Le premier niveau sert de corps de garde alors que le deuxième, une grande chambre séparée de l'étage inférieur par un simple plancher, abrite le gardien de batterie ;
- Une plateforme sommitale munie de cinq créneaux et pouvant accueillir quelques pièces d’artillerie. On y avait installé, en batterie haute, quatre canons de 4 livres seulement récupérés par Pontbriand en juillet 1695 sur une galiote anglaise, l'HMS Dreadful, qui s'était échouée lors de l'attaque de Saint-Malo ;
- L'ensemble est surplombé par une petite tourelle servant d'observatoire à laquelle on accède par un escalier extérieur.
Toutefois la tour ne forme qu'une sorte de réduit qui n'a pas d'action contre la mer. Chaque pièce n'était dotée que de 25 boulets par pièce et la faiblesse du calibre ne permettait d'assurer la défense de la tour que contre des troupes débarquées ou agir contre des chaloupes de débarquement. Le magasin à poudre contenait seulement 200 livres de poudre.
La porte était initialement protégée par une herse et ainsi qu'un pont-levis. Elle est couverte par une sorte bretèche qui semble avoir abrité le mécanisme du pont-levis.
L'accès à la porte de la tour est couvert par un modeste ravelin dont le mur d'enceinte comprend des créneaux de fusillade. Seul le ravelin était cerné par un fossé, peu large et peu profond, aujourd'hui comblé. Enfin, l'accès au ravelin était peut-être couvert par un pont-levis (cf. infra).
L'accès à la porte de la tour est couvert par un modeste ravelin dont le mur d'enceinte comprend des créneaux de fusillade. Seul le ravelin était cerné par un fossé, peu large et peu profond, aujourd'hui comblé. Enfin, l'accès au ravelin était peut-être couvert par un pont-levis (cf. infra).
D'après un rapport de Garengeau du 29 septembre 1716 l'ensemble est en assez bon état excepté les dehors : « Est nécessaire de réparer les deux ponts levy, y refaire partie des assemblages qui sont pouris et les recouvrir de planches de chêne neuves, mettre les mailles qui manquent aux chaisnes, une serrure neuve, des crochets et huisler le reste des ferures que la rouille mange » [ibid. p. 9]. D'après ce rapport du 30 juillet 1730, les ponts-levis avaient été brûlés par les Anglais et les fortifications se trouvaient plus ou moins à l'abandon.
Le tour d'artillerie des Hebihens en images.
Tour d'artillerie des Ebihens — Porte d'accès couverte par un ravelin |
Tour d'artillerie des Ebihens — Tourelle servant d'observatoire |
Tour d'artillerie des Ebihens — De nombreuses marques lapidaires ! |
Tour d'artillerie des Ebihens — Créneaux de la plateforme d'artilleire |
Tour d'artillerie des Ebihens — « Bretèche » |
Tour d'artillerie des Ebihens — Ravelin |
Batteries de côtes aux Hebihens
Toutefois l'essentiel de la défense devait être constitué par trois batteries de côtes dont une seule, celle disposée sur la pointe nord-est, sera réalisée en 1756, au moment de la guerre de Sept Ans, sur ordre du duc d'Aiguillon. À cet effet, cette batterie de la pointe de Hébihens (un simple pierres sèches revêtues de gazon, aujourd'hui disparue) comprend deux pièces d'artillerie (état en 1758).
Armée de deux canons de 12 livres, elle croisait ses feux avec celle de Saint-Briac. La tour servait alors de corps de garde aux canonniers garde-côtes.
Armée de deux canons de 12 livres, elle croisait ses feux avec celle de Saint-Briac. La tour servait alors de corps de garde aux canonniers garde-côtes.
Batteries de côtes aux Hebihens selon le projet de Vauban… seule la batterie située au sommet du plan sera construite. |
État actuel
Propriété privée ainsi que l'ensemble de l'île, la tour est bien conservée mais elle n'est pas accessible à la visite. L’île n'est accessible qu'à marée basse et, pour ne pas être pris au piège, il convient de consulter les horaires des marées.
Quelques voisins…
Tour fanal du cap Frehel (17e s.).
À l'heure bleue…quelques instants magiques !
Celui qu'on ne présente plus… le fort La Latte !
Depuis le Cap Frehel… à l'heure dorée.Références documentaires
Bibliographie
- BRISOU D. - Les Ebihens. Poste avancé de la défense côtière. In : Les amis du vieux Saint Jacut, 1995-1996, No. 28, p. 7-15 ; No. 29, p. 8-14.
- BRISOU D. - Vauban aux Ebihens. In : Les amis du vieux Saint Jacut, 2019, No. 75, p. 4-13.
- COLLET H. - La construction de la tour des Ebihens. In : Les amis du vieux Saint Jacut, 1985, No. 7, p. 3-13.
- BRISOU D., BIDOU O., DESVAUX M - Il était une fois les Ebihens. Paris, O. Bidou, s.d. (vers 2010).
- LÉCUILLIER G., LEMAÎTRE P. - La route des fortifications en Bretagne Normandie. Les étoiles de Vauban. Paris, Editions du huitième jour, 2006.
- LÉCUILLIER G. - « Quand l'ennemi venait de la mer ». Les fortifications littorales en Bretagne de 1683 à 1783. In : Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, 2007, No. 114-4, p. 149-165.
- LÉCUILLIER G. - De Saint-Malo à Camaret : défense des côtes de Bretagne à la fin du XVIIe siècle. In : Cahiers du CERMA, 2005, No. 3, p. 155-171.
Sitologie
Dr Balliet J.M. — octobre 2019
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