Un livre, un jour… Gal Tournoux. Défense des frontières 1919-1939 & la remarquable préface du Maréchal JUIN


Souvent cité dans les bibliographies sérieuses, cet ouvrage couronné reste paradoxalement peu exploité. Pourtant le Général Tournoux a été très actif au moment de la genèse de la ligne Maginot : comme professeur de fortifications à la fin des années vingt et, par la suite, sur plusieurs sites alors en construction.


TOURNOUX (Général P.E.) - Défense des frontières. Haut Commandement - Gouvernement et défense des frontières du nord et de l'est 1919-1939. Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1960.


L’ouvrage propose une analyse structurée, parfaitement documentée, dont on peut apprécier, encore aujourd’hui, la grande clarté. L’ouvrage a d’ailleurs été couronné par l’académie française en 1961 — Prix Broquette-Gonin (histoire) — à une époque où le terme de ligne Maginot, d’ailleurs adroitement éludé par l’auteur, est presque synonyme de la défaite de 1940 !


La remarquable préface du Mal Juin.

Outre le corps de l’ouvrage, la préface du maréchal Juin mérite qu’on s’y attarde : de manière très concise, avec l’autorité que lui conféraient ses qualités de grand chef militaire, il a su définir les qualités et les défauts du système de fortification français.
Au-delà des propos, souvent insuffisamment fondés, tenus hier comme aujourd’hui, la préface qu'il nous a proposé mérite d’être citée presque in extenso :


« L’ouvrage du général TOURNOUX représente l’effort de synthèse le plus important qui ait été tenté pour expliquer la genèse de la Ligne Maginot, les intentions qui ont présidé à son tracé, le rôle que le Gouvernement voulait donner à cette organisation dans la défense de nos frontières du nord et du nord-est et l’usage qui en a effectivement été fait en 1939-40.

Une œuvre nécessitant une grande compétence technique alliée à une solide connaissance de l’histoire. Comme nul n’était plus qualifié que cet officier pour réaliser professeur de fortification à l’époque où se construisait la Ligne Maginot, il a pu suivre, jour après jour, les évolutions des projets du Haut Commandement et les vicissitudes des mises en chantier successives.


D’une grande impartialité, se documentant aux meilleures sources (les archives du Service Historique de l’Armée notamment), le général Tournoux insère son étude dans le contexte politique et militaire de l’époque ; il met ainsi en pleine lumière l’opposition sans cesse renaissante entre partisans du front continu : « la Muraille de France », et ceux des régions fortifiées destinées à appuyer et à faciliter l’action offensive des armées.



Pourtant, dès mai 1920, le Maréchal FOCH s’était montré hostile à la première formule : selon lui, l’organisation défensive d’un pays pouvait être étudiée comme un ensemble où devaient s’intégrer le plan d’opérations, l’état des armées et la fortification, matière inerte par elle-même. Si l’Allemagne nous attaquait, il fallait aller chercher la frontière de guerre où elle se trouvait et courir au Rhin pour en faire une barrière. C’était parler en stratège ; malheureusement, après lui, les problèmes de notre défense ne furent plus envisagés que sous l’angle tactique dans l’incertitude où nous étions de pouvoir conserver la rive gauche du Rhin au nord de l’Alsace.



Était-ce manque d’imagination de la part des généraux ayant participé à la Grande Guerre et gardant une foi aveugle dans les procédés qui les avaient conduits à la victoire ? N’était-ce pas plutôt, ainsi que l’écrivait, dès 1922, le Général GUILLAUMAT, la nation toute entière, et ses chefs d’État avec elle, qui " faisaient fausse route en se reposant sur la notion inexacte et démoralisante qu’avec la fortification on assure l’inviolabilité d’un pays et qu’un système matériel quelconque peut être substitué au rude labeur de la préparation des volontés, des cœurs et des cerveaux ".



Sur le plan tactique, il est incontestable que le système défensif mis en place sur la frontière du nord-est a joué le rôle qu’on pouvait en attendre, de même que les fortifications de l’ancien système Séré de Rivières établi sur la Meuse en 1870 ne furent pas sans jouer leur rôle au moment de la bataille de la Marne et ensuite à Verdun. Ainsi que l’a reconnu le Maréchal von MANSTEIN, la présence de la Ligne Maginot a influé sur les plans du Haut Commandement allemand ; celui-ci craignait de voir son adversaire utiliser l’appui assuré par cette ligne fortifiée pour monter et lancer une contre-attaque axée sur l’aile gauche allemande : au groupe d’armées de von RUNSTEDT, la 16e Armée reçut une mission nettement défensive de couverture du flanc gauche.



Or, jamais la Ligne Maginot ne fut utilisée comme un pivot de manœuvre, comme un môle à l’abri duquel les éléments nécessaires à cette contre-attaque redoutée des Allemands auraient pu se grouper en toute sûreté.

Conçue pour économiser des forces au bénéfice de la manœuvre, la Ligne Maginot semblait être devenue dans I'esprit de nos chefs une fin en soi du fait de l’attraction exercée pendant la drôle de guerre par le seul front de contact entre le Luxembourg et la frontière suisse. Elle avait ainsi fini par absorber pour elle-même une partie des économies réservées aux éventuelles manœuvres offensives qui ne furent pas à leur place au 10 mai 1940. C’était pêcher contre l’esprit et notre défaite devait être consommée en quelques jours. […] »


Dr Balliet JM, le 1er février 2019




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