Escaliers & ouvrages militaires — Fortifications : dispositions insolites ou méconnues (11)
Dans les ouvrages militaires, l'escalier se caractérise par son ubiquité. Cet élément architectural aux formes multiples est parfois remarqué — le plus souvent par son esthétique — mais plus fréquemment ignoré. Pourtant, s'agissant de fortifications, il joue un rôle majeur dans les communications et sa disposition retient régulièrement l'attention de l'architecte ou de l'ingénieur.
Décrire toutes les formes d'escaliers dans le cadre d'un billet, dont la taille est par nature même contenue, relève de la gageure . On se contentera de suivre le plan usuel des cours de fortification du 19e, tout particulièrement celui de Delair (1882).
Escaliers le long de la ligne de plus grande pente des talus
Fig. 1 |
On plaçait quelquefois des escaliers en pierre suivant la ligne de plus grande pente des talus (fig. 1). S'ils sont un peu longs, on considère qu'ils ne sont admissibles que pour le service du temps de paix.
À défaut d'escalier en pierre, on employait parfois des gradins en bois (planches ou rondins). On les utilise, plus particulièrement, pour le service en temps de paix, sur les talus un peu élevés afin que ces derniers ne soient dégradés trop vite par le passage des hommes appelés à les gravir.
Escaliers appuyés à un mur ou placés entre deux murs
D'autres escaliers sont appuyés sur un mur (fig. 2a & 2b) est quelquefois établis entre deux murs (fig. 3). Ils ont généralement de 1 m à 1,50 m de largeur et leurs marches ont 20 cm de hauteur (l'inclinaison de ces escaliers est de deux tiers).
Les arêtes des marches devront être perpendiculaires à la ligne de foulée afin que l'escalier soit un usage commode, même pendant la nuit. Cette condition se trouve très facilement remplie quand le mur auquel s'appuie l'escalier est vertical (fig. 4) ; mais elle amène une plus grande complexité dans la taille de pierre quand le parement de ce mur présente un fruit (i. e. inclinaison) assez grand.
Fig 2a — Escalier appuyé contre un mur |
Fig2b - Neuf-Brisach, Porte de Strasbourg |
Fig. 3 — Escalier entre deux murs |
Fig. 4 —Escalier appuyé contre un mur vertical |
Escaliers courbes
Aux 17e et 18e siècles, du temps de Vauban et de ses successeurs, on appuyait volontiers aux arrondissements de contrescarpe des escaliers courbes (fig. 5). Leur construction était difficile à réaliser et leur prix de revient assez considérable. À partir du 19e siècle, elles sont considérées comme nuisant à la sécurité des fossés et ont été presque complètement abandonnés, (on leur substitue des escaliers mobiles en bois ou des échelles si l'on n'a besoin d'établir momentanément une communication à cet endroit).
Fig. 5 — Détails des escaliers courbes permettant d'accéder aux places d'armes sortantes (Source : Neuf-Brisach, s.d. vers 1710 (Fonds Dr Balliet). |
Escalier en capitale à la gorge d'un ouvrage
Fig. 5a |
On trouve quelquefois des escaliers placés en capital à la gorge des ouvrages, par exemple dans les demi-lunes ou ravelins.
Ils sont placés entre deux murs verticaux (fig. 5a & 5b) ou s'appuient contre un mur (fig. 6).
Fig 5b — Escalier entre deux murs (accès au réduit de demi-lune 25, Neuf-Brisach) |
Fig. 6 — Escaliers en capitale de la gorge d'un ouvrage (Neuf-Brisach, Demi-lune 18) |
Escaliers à plusieurs volées ; paliers intermédiaires.
Fig. 7 |
Si l'on n'a pas la place suffisante pour développer un escalier droit, on emploie aussi, dans certains cas particuliers, des escaliers à plusieurs volées ou à changement de direction. Dans ces conditions la disposition exige l'emploi de paliers à l'endroit des changements de direction (fig. 7).
Pour les murs de gorge une autre disposition très employée consiste à placer deux escaliers à deux volées débouchant sur le même panier au point de départ et d'arrivée avec des paliers intermédiaires à mi hauteur (fig. 8).
Fig. 8 |
Escaliers rampes
Fig. 8a — escalier-rampe |
Quand on ne peut aborder dans un ouvrage par des rampes et que celui-ci ne contient que des escaliers, l'armement ne peut y être introduit qu'au moyen de manœuvres de force. Cependant, on facilite beaucoup ces manœuvres, au moins pour certaines pièces de l'armement, en construisant des escaliers-rampes. Il s'agit d'escaliers dont les murs d'échiffre sont taillés en rampe à leur partie supérieure de manière à permettre le passage des roues pour des matériels légers. On peut alors les hisser dans l'ouvrage sans avoir à les démonter. La longueur des marches doit alors être de 1,30 m et la largeur de chaque mur d'échiffre est de 35 cm. Ceci donne à l'escalier une largeur totale de 2 m.
Fig. 8a — Escalier-rampe (Château de Belfort) |
Miscellanées
De nombreuses variantes peuvent être observées.
Quelques illustrations…
Fig. 9 — Combinaison d'un escalier & d'une rampe (Place-forte de Brouage) |
Fig. 10 — Escalier en colimaçon (Fort de Joux) |
Fig. 11 — Le remarquable escalier arc-boutant (1785) de Mont-Dauphin — Caserne Rochambeau. La disposition particulière des marches permet en outre son usage par des animaux de bâts. |
Moyen d'interrompre les escaliers & de protéger leur accès
On interrompt les escaliers comme les rampes au moyen de hahas de 4 m de profondeur et de largeur sur lequel on établit des ponts mobiles ou roulants.
Cf. un autre de nos billets : Fortifications : dispositions insolites ou méconnues… (7) Lorsque « Ha-Ha » ne prête pas à rire ! à découvrir ici.
Pas de souris : Ce terme est fréquemment retrouvé dans les manuels de fortifications et d'un usage commun dans certains guides sans que l'on sache toujours de quoi il retourne ! On peut le définir comme un escalier étroit partant du fossé et permettant l'accès aux dehors (chemin-couvert, demi-lune, réduit, place d'armes). Ils sont souvent situés aux angles de la constrescarpe (cf. escaliers courbes), parfois sont coupés d'un haha ou partent à 2m du sol (fig. 11) en imposant l'usage d'une échelle. Leur caractère étroit et a fortiori malcommode vise aussi à ralentir l'approche d'un assaillant !
Fig. 11 — Escaliers interrompus… une alternative au haha (Mont-Dauphin, Front d'Eygliers, accès à une place d'armes rentrante) |
Commentaires
En l'espèce, il ne s'agit pas d'un pas de souris (cf. définition donnée dans le billet) mais d'un escalier en pas d'âne : cet escalier combine grande profondeur et faible hauteur de marche. Il était destiné à faciliter le passage d'animaux de bât (âne, mulets…).
Bien cordialement.
JM Balliet