À propos de deux superbes canons d'artillerie navale du modèle 1786 exposés sur les remparts de Blaye
Avant-propos
Sur les remparts de l’enceinte de la citadelle de Blaye, au niveau de la « Batterie des matelots », sont disposées deux pièces d’artillerie navale dont le seul objectif est d’abord esthétique. Si leur provenance m’est inconnue, il s’agit pourtant de pièces d’un grand intérêt pour l’amateur d’histoire de l’artillerie navale française.
Batterie des matelots - Citadelle de Blaye |
Abrégé d'histoire des canons en fer de l'artillerie navale française.
Il convient de se référer à l'étude monumentale rédigée à propos de l'artillerie navale :
BOUDRIOT J. - Artillerie de mer. France 1650-1850. Nice, Ancre, 1992. p. 14
Je me suis essentiellement contenté d'en réaliser un résumé en l'agrémentant toutefois de quelques modestes commentaires de mon fait [ndr].
— Artillerie navale de 1778 —
L'artillerie, adoptée à la fin de 1778, présente des proportions et une mouluration qui diffèrent sensiblement de l’artillerie de 1766 et introduit des pièces longues et des pièces courtes pour les quatre petits calibres (cette initiative est due au comte d’Orvilliers, lieutenant général en 1777). Toutefois cette artillerie n’aura dans ses fabrications qu’une durée éphémère, déjà en 1783 les canons de 48, considérés comme trop pesant ne sont plus en fabrication.
— Artillerie navale de 1786 —
En 1786, le Maréchal de Castries, Ministre de la Marine, charge l’Inspecteur Général de l’Artillerie des Colonies, de la mise au point de nouvelles tables… cet Inspecteur, Monsieur de Manson, avait déjà, conjointement avec de Gribeauval, établi les tables de l’artillerie de terre !.
L’artillerie de la Marine de 1786 sera ainsi définie de manière plus rigoureuse qu’en 1778. Elle armera toute la marine française des Guerres de la Révolution et de l’Empire conjointement avec les caronades de 36 et 24.
À l’origine, le calibre de 4 avait été abandonné, mais il sera repris en 1787. Sur les tables d’origine, l’astragale de lumière était supprimé, mais elle fut rétablie par la suite.
La mouluration est simplifiée par rapport à l’artillerie de 1778 et les proportions plus élégantes, les longueurs des pièces restent sensiblement les mêmes qu’antérieurement.
Les tourillons sont renforcés par une embase, sorte de renfort circulaire à la naissance des tourillons contre le renfort.
ndr : Elles permettent de distinguer les pièces de l'artillerie de 1786 des modèles fondus antérieurement.
Les pièces longues n’existent que dans les calibres 8, 6 et plus tard 4. Le contraste entre les pièces longues et les pièces courtes est plus accentué que dans l’artillerie de 1778. En effet, les pièces longues ne sont destinées qu’aux gaillards, d’où la nécessité de pièces allongées.
— Artillerie navale de 1810 —
Une légère modification sera apportée vers 1810 au tracé de 1786 une petite saillie ou support de fonte existe parallèlement au canal de lumière ceci afin de mieux fixer la platine de mise à feu.
ndr : Il est probable que des pièces fondues antérieurement aient été adaptée pour accepter une platine de mise à feu.
Identification des canons de la batterie des matelots, citadelle de Blaye.
Chaque pièce est disposée sur un affût reconstitué évoquant, de manière certes assez imprécise, ceux en usage dans l'artillerie navale et les fortifications littorales. Ces pièces en fer, nécessairement plus sensibles aux affres du temps que leurs homologues en bronze, sont assez bien conservées.
Pour en déterminer le type exact, en l’absence de mesures précises qu’au regard des circonstances il nous a été impossible de relever, on peut essentiellement s’appuyer sur les éléments suivants :
• La forme générale et les proportions des pièces ainsi que les moulurations et la disposition des tourillons ;
• Les ornements et les diverses marques de fonte.
Les deux pièces peuvent être identifiées avec un haut niveau de certitude comme des canons de fer de 12 du modèle 1786. Avant de développer notre argumentaire, il convient de présenter les deux pièces au moyen d'un portfolio sommaire.
Canon de fer de 12 du modèle 1786 « à l'ancre ».
Canon de marine de 12 livres en fer suivant le dessin de 1786.
Dessus du premier renfort : ancre navale
Tourillon gauche : "N 1???"
Tourillon droit : ?
Tranche de culasse : "N 3", peut être pour "AN 3" (date de fonte 1794-1795)
Nota : Présence d'encoches formant peut-être un support pour une sorte d'alilade de visée ou, plus probablement, pour un système de mise à feu par percussion.
Canon de fer de 12 du modèle 1786 « A LA CANONIERE ».
Canon de marine de 12 livres en fer suivant le dessin de 1786.
Nom de baptême de la pièce, sur le premier renfort: "A LA CANONIERE"
Dessus du premier renfort : "LAN 3'" "MA" — correspond à l'année de fonte l'An 3 de la République (1794-1795)
Dessus de la volée : "BOYLE"
Tourillons droit et gauche : ?
Nota : présence d'encoches formant peut-être un support pour un système de mise à feu par percussion
Identification des pièces… argumentaire.
Si les dimensions exactes n’ont pu être relevées et le poids reste inconnu, il s’avère cependant assez aisé d’identifier ces pièces.
1. Canon de marine ? L’absence d’anses caractérise son appartenance à la marine.
2. Modèle 1786 :
3. Calibre de 12 livres : La mouluration reste simple et les proportions élégantes orientent vers une pièce de la seconde moitié du 18e siècle, ce qui est bien évidemment confirmé par les marques relevées sur les deux pièces, l’an troisième de la République soit 1794-1795. Par ailleurs, les tourillons renforcés par une embase, sorte de renfort circulaire à la naissance des tourillons contre le renfort, sont tout à fait caractéristiques du modèle 1786. Enfin, les détails de la mouluration et les proportions générales (cf. extrait des planches dessinées par J. Boudriot) permettent d’écarter avec certitude la pièce de 8 livres et celle de 18 livres.
Artillerie du modèle 1786 — in BOUDRIOT J. - Artillerie de mer. France 1650-1850. Nice, Ancre, 1992. p. 12-14 (extrait) |
Dr Balliet J.M. — 9 avril 2020.
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