Renseignement militaire : « L'affaire du canon de 75 mm Mle 1897 »… le point de vue allemand en 1896 !


L'histoire de l'adoption du canon de 75 mm modèle 1897 débute bien avant le millésime attribué officiellement. Entourée de secret dans un contexte de guerre secrète avec les services de renseignement allemands, on rapporte classiquement la perception du côté français qui sera essentiellement marquée par la fameuse affaire Dreyfus. Il n'est pourtant pas inintéressant d'observer le sentiment qui prévalait en Allemagne en se référant aux meilleures sources ouvertes (i. e. accessibles au public) de l'époque.
Les observations d'un de ses représentants les plus éminents en la personne d'un général allemand alors en activité méritent qu'on s'y intéresse  Il s'agit du Generalmajor Wille dont les nombreux articles et ouvrages, généralement de haute tenue, font alors figure de référence en Europe.

Rappel historique à propos du développement et de l'adoption du canon de campagne de 75 mm Mle 1897.

Parmi un nombre important de propositions, c'est le projet de l'Atelier de Puteaux au sein duquel exerçait le commandant Deport qui retient une attention toute particulière. Il retient le principe d'un frein à long recul du canon, guidé par des couples de galets suivant le brevet de l’ingénieur bavarois Haussner. 
Dès le mois de juillet 1892, débute le développement d'un  canon de 75 mm, dit 75 C, utilisant le « frein Deport ». En parallèle, d’autres matériels des types 75 A, B et D (capitaines Baquet, Ducros et Locard) se poursuivent tant pour des raisons techniques — certains aspects sont novateurs et requièrent une attention légitime — que pour semer la confusion au sein de l’espionnage allemand.


Le modèle 75 C commence ses essais dès le mois d’octobre 1893. Ils se révèlent prometteurs en offrant une cadence de tir jusqu’alors inédite de l’ordre d’une vingtaine de coups par minute [cpm] (à la même époque, la cadence des pièces en service atteint à peine les 5 cpm). Le frein reste encore imparfait et le Lt-colonel Deport quitte l’Atelier de Puteaux et l’armée pour rejoindre l’industrie privée, en l’occurrence Schneider.
Dans les deux années suivantes, la mise en point finale est confiée au capitaine Sainte-Claire Deville et à son adjoint, le capitaine Rimailho. La production des tubes débute dès 1896, mais ce n’est qu’en juillet 1896 que le frein est considéré presque opérationnel. Sa mise au point définitive suivie de la mise en production ne seront toutefois effectives qu’en 1897.
Il convient de préciser que la décision de construire en série le matériel est prise dès 1895 par le ministre alors la pièce ne reçoit son appellation officielle de « matériel de 75 mm modèle 1897 » qu’à la date du 28 mars 1898. 


La perception allemande vers 1896.

En 1896, un ouvrage est publié par le prolixe général Wille. Généralement bien informé et particulièrement pointu sur le plan technique, l’ouvrage n’aborde que de manière liminaire la question de l’introduction d’un nouveau canon de campagne au sein de l’artillerie française quelques paragraphes dont la transcription suit, lui sont consacré dans le chapitre dédié au… canon de 120 C de Baquet ! 

WILLE (Generalmajor z. D. R.) - Zur Feldgeschützfrage. Berlin, Verlag von R. Eisenschmidt, 1896 ; in-8, 400 pp., 84 fig. in-t., 1 pl. dépl. h-t.

Texte original allemand — Frankreich. Kurze 120 mm Kanonen (p. 165-167)

Vor zwei Jahren tauchte plötzlich in den meisten militärischen Zeitschriften und in fast allen politischen Zeitungen die sehr bestimmt gehaltene Nachricht auf, dass die französische Artillerie eine Schnellfeuer-Feldkanone eingeführt habe, deren Seelenweite 7,5 cm betragen und die 6,5 kg schwere Geschosse von 147,1 Querdichte mit 600 m Mündungsgeschwindigkeit verfeuern sollte; die Geschossarbeit an der Mündung würde also 119,327 mt betragen haben, so dass auf ein Kilo Rohrgewicht (= 425 kg) 281 mkg und auf das Kilo des feuernden Geschützes (= 955 kg) 125 mkg Arbeit entfielen.
Die ballistischen Eigenschaften der 7,5 cm Kanone wurden wie folgt angegeben:


Trotz aller, wie gesagt, sehr bestimmt auftretenden und ins einzelne gehenden Angaben erwies sich indes das Gerücht, nachdem es den üblichen Staub aufgewirbelt hatte, als eine Tatarennachricht, deren Ursprung allem Anschein nach darauf hindeutete, dass man in der steten hastigen Jagd nach Neuem und Überraschendem die mögliche Absicht für die vollendete Tatsache genommen hatte. Fast alle Zahlen, die über das neue Geschütz verbreitet worden waren, trafen für die von Schneider & Cie. im Creusot konstruierte 7,5 cm Schnellfeuerkanone zu (s. unter 3), welche seitens der französischen Artillerie zwar geprüft, aber nicht eingeführt wurde, obwohl diese Absicht vielleicht zeitweise obgewaltet haben und auch von manchen Seiten lebhaft befürwortet sein mag.
Etwa ein Jahr später verlautete abermals die Einstellung einer 7,5 cm Schnellfeuerkanone in die Feldartillerie. Eine mit den neuen Geschützen ausgerüstete Versuchsbatterie wurde dem Präsidenten der Republik am 24. Juli 1895 vorgeführt. Man sprach, wie immer bei solchen Gelegenheiten, von „glänzenden Leistungen“ und grosser Feuergeschwindigkeit, die nach einigen 7 bis 10, nach anderen sogar 12 bis 15 gerichtete Schüsse in der Minute erreichen sollte; nebenher wurde, wie auch früher schon, Herr Oberstleutnant Deport, Direktor der Staatswerkstätten zu Puteaux, als Konstrukteur genannt und gleichzeitig der vom Kriegs- und Marineministerium erworbene exzentrische Schraubverschluss der Firma Nordenfelt erwähnt; die Rohrlänge sollte 2,6 m = 34,7 Kaliber betragen, was augenscheinlich auf eine bedeutende Mündungsgeschwindigkeit hinwies. Sonstige, namentlich ziffermässige Angaben fehlten oder erschienen nur in nebelhaft verschwommenen Umrissen, welche dringend der Klärung bedurften. Die schon vor Jahr und Tag verkündete Behauptung, dass die Fabrikation der neuen Kanonen bereits begonnen habe und aufs eifrigste gefördert werde, hat bis jetzt eine weitere und zuverlässige Bestätigung jedenfalls vermissen lassen. Wohl aber wurden am 11. März 1896 dem damaligen Kriegsminister Cavaignac in Bourges abermals neue Muster von Geschützen und Geschossen vorgestellt,) und wenig später verkündete man,) dass das Kriegsministerium eine Vorlage ausarbeite, welche 376 Millionen Mark für Umbewaffnung der Artillerie verlange. Darob, wie natürlich, eine grosse, vielleicht entbehrliche Aufregung in der Presse einiger Nachbarstaaten, während Herr Major Schott mit trockenem Sarkasmus bemerkte:) „Cavaignac ist inzwischen abgetreten, und sein Nachfolger, ein Mann der alten Schule, wird es wohl mit der Sache nicht so eilig haben.“
Sei dem, wie ihm wolle, jedenfalls hat sich im Jahre 1895 den beiden, oder — falls man den 95 mm noch als Feldgeschütz mitzählen will — den drei französischen Feldkanonen in der That ein neuer Genosse hinzugesellt: die kurze 120 mm Kanone, deren Konstruktion und Erprobung schon 1890 begann, also bis zur endgültigen Einführung einen Zeitraum von fünf Jahren beansprucht hat.

Traduction libre (Dr Balliet J.M.)

Il y a deux ans est apparu soudainement dans la plupart des revues militaires et dans presque tous les journaux des nouvelles, considérées comme certaines, indiquant que les Français avaient adopté un canon de campagne à tir rapide d’un calibre de 7,5 cm [75 mm] tirant des projectiles pesant 6,5 kg avec une Vo de 600 m/s […].
Malgré toutes ces informations très précises et les détails énoncés ci-dessus, il s’avère qu’il ne s’agit que de rumeurs, une fois le tourbillon médiatique apaisé, il s’agit d’une opération de désinformation destinée à présenter un projet comme abouti !
Presque tous les chiffres évoqués correspondent au canon de campagne à tri rapide de 75 mm de la Sté Schneider, produite au Creusot. Cette pièce avait été testée par les services de l’artillerie française sans avoir été adoptée bien qu’elle ait apparemment bénéficié d’importants soutiens.
Environ un an plus tard, la rumeur de l’adoption d’un canon de campagne à tir rapide de 75 mm refait surface. Une batterie équipée de ces pièces a été présentée au président de la République le 24 juillet 1895. Il a été question, comme d’habitude en de telles occasions, de « performances excellentes » et d’une cadence de tir élevée, d’après certaines sources entre 7 à 10 coups par minute [cpm] et selon d’autres 12 à 15 cpm. En parallèle, M. le lieutenant-colonel Deport, directeur de l’atelier de Puteaux, a été cité comme le constructeur (sic.) alors qu’il est également évoqué l’acquisition par les ministères de la Guerre et de la Marine de la culasse à vis excentrique de la société Nordenfelt. La longueur du tube est estimée à 2,6 m = 34,7 calibres, ce qui devrait orienter vers une vitesse initiale des projectiles élevée. D’autres informations faisaient défaut ou apparaissaient peu fiables, à tel point que des précisions devaient être obtenues dans les meilleurs délais.
L’information circulant depuis un an selon laquelle la fabrication des nouvelles pièces d’artillerie avait déjà débuté et tournait à plein régime n’a pu être confirmée. Par ailleurs, le 11 mars 1896, de nouvelles pièces d’artillerie et de nouveaux projectiles ont été présentés au ministre de la Guerre Cavaignac, à Bourges. Peu de temps après, on proclamait que le ministère de la Guerre demandait un budget équivalent à 376 millions de Mark pour transformer le matériel d’artillerie. Il s’agit d’une nouvelle qui fit grand bruit dans la presse des pays voisins tandis que le major Schott fit une remarque sarcastique : « Cavaignac a démissionné et, en la matière, son successeur, un homme de la vieille école, ne sera probablement pas si pressé » […].

Conclusion.

Il apparaît clairement que l’état-major allemand est au fait de quelque chose. Toutefois, l’incrédulité associée aux habiles manœuvres françaises de « désinformation » ont clairement pris le pas sur des données plus factuelles. In fine, la surprise sera de taille pour les Allemands qui viennent d’introduire, en 1896, un nouveau matériel d’artillerie de campagne qui se révèle de facto immédiatement obsolète !

En effet, le canon de campagne du type Feldkanone 96, adopté à très grande échelle en 1896 par l'Allemagne, utilise simplement un affût rigide qui subitement s'avère irrémédiablement obsolète. Il faudra modifier totalement l'affût et développer un frein de recul… le canon ainsi modernisé — F.K. 96 n.A. — ne sera apte au service qu'en 1906.




Feldkanone 96 (F.K. 96 a.A.)


Balliet J.M., le 23 février 2020

Commentaires

GV de pointe a dit…
Excellente idée de mettre en parallèle les points de vue français et allemands.
Cela donne une meilleure perception du contexte.
J'observe que nos services étaient parvenus à intoxiquer totalement l'adversaire.
Cela mérite d'être souligné.
GBR (2s) Daniel THOMAS.