Le rempart dans la fortification bastionnée — Fortifications, aspects architecturaux & pratiques (1)

Neuf-Brisach — Contregarde 9 (demi-revêtement), au second plan, le réduit de demi-lune 25 (plein-revêtement)
Neuf-Brisach — Contregarde 9 (demi-revêtement), au second plan, le réduit de demi-lune 25 (plein-revêtement)

Le rempart… afin que l'on sache ce à quoi il correspond et quelle est son utilité.

L’élévation de terre disposée autour d’une place, d’une forteresse ou d’un fort correspond à ce qu’on appelle un rempart : il sert à fermer un espace et le met à l’abri des attaques d’un ennemi ambitieux.
Toutefois, les auteurs contemporains insistent  particulièrement sur un rôle moins connu : il doit empêcher la désertion des troupes chargées de la défense !


Neuf-Brisach — La console et l'appareillage soigné du petit-flanc de courtine gênent l'escalade mais aussi la descente (i.e. la désertion)
Neuf-Brisach — La console et l'appareillage soigné du petit-flanc de courtine gênent l'escalade mais aussi la descente (i.e. la désertion)

Les principales sortes de remparts…

Il sont de trois sortes… des remparts revêtus, mixtes ou à demi-revêtus et non revêtus.

Quelle différence y-a-t’il entre ces trois sortes de remparts ?

On appelle remparts revêtus ou à plein revêtement, ceux qui du bas en haut sont soutenus d’une maçonnerie du côté de la campagne. Les remparts mixtes, à demi-revêtement, correspondent à ceux qui ne sont soutenus par une maçonnerie que jusqu’au niveau du terrain. Les remparts de terre ou non revêtus sont quant à eux totalement réalisés en terre.

À plein revêtement…

Neuf-Brisach — Réduit de demi-lune 23 (plein-revêtement)
Neuf-Brisach — Réduit de demi-lune 23 (plein-revêtement)

Cormontaigne (L. de) — Architecture militaire ou l'art de fortifier […], 1741
Cormontaigne (L. de) — Architecture militaire ou l'art de fortifier […], 1741

À demi-revêtement…

Neuf-Brisach — Demi-lune 17 (demi-revêtement) couvrant le Réduit de demi-lune 25 (plein-revêtement)
Neuf-Brisach — Demi-lune 17 (demi-revêtement) couvrant le Réduit de demi-lune 25 (plein-revêtement)


Cormontaigne (L. de) — Architecture militaire ou l'art de fortifier […], 1741
Cormontaigne (L. de) — Architecture militaire ou l'art de fortifier […], 1741

En terre ou non revêtus…

Vesting Bourtange (Pays-Bas) — Rempart en terre et sa berme
Vesting Bourtange (Pays-Bas) — Rempart en terre et sa berme


L’efficacité de ces trois sortes de remparts est-elle similaire ?

• Les remparts entièrement revêtus ou à plein-revêtement ont l’avantage de pouvoir être plus haut, ils se soutiennent facilement et n’exigent pas de fréquentes réparations.

• Les remparts mixtes, à demi-revêtus ou à demi-revêtement n’étant soutenus par une maçonnerie que jusqu’au niveau du terrain, en partant du fond du fossé disposé au pied des remparts, coûtent beaucoup moins cher à construire que les précédents. Vauban les a jugés les meilleurs et en a fait largement usage à Neuf-Brisach.
1° Ils ne présentent à l’ennemi qu’un massif de terre au-dessus du niveau du terrain où les boulets envoyés des premières batteries de l’assiégeant s’enterrent sans y causer des éclats dangereux, comme cela arrive lorsqu’ils viennent à frapper un rempart revêtu dans toute sa hauteur.
2° La maçonnerie qui soutient ces sortes de remparts n’excédant point le niveau de la campagne ; l’ennemi ne la peut battre. Pour avancer la brèche, il doit établir ses canons à faible distance, sur le chemin couvert.
3° Les débris de la brèche faite à ces sortes de remparts ne dispensent pas I’assiégeant d’apporter la quantité de matériaux nécessaires pour combler le fossé.

• Enfin, les remparts non revêtus ou en terre coulante, particulièrement usités par les ingénieurs hollandais, sont plus aisés à construire et coûtent moins que les autres parce qu’ils ne sont soutenus extérieurement que par des espèces de coins de terre appelles gazons dont les têtes font le parement du talus, dénomination qu’on donne aux terres qui forment ces remparts. Ce talus présente une largeur correspondant aux deux tiers de la hauteur. À quelque endroit que ce rempart soit battu, le boulet n’y fait d'ailleurs qu'un modeste trou et pour empêcher que les débris de ce rempart ne s’écroulent dans le fossé qui l’environne, on dispose, au pied et tout autour de ce rempart, un espace d’environ deux toises ou quatre pas que l’on nomme berme.

La berme… cet espace a-t-il quelques autres utilités ?

La berme est essentielle pour stabiliser le talus qui se « soutient » beaucoup mieux que s’il se terminait au bord ou dans le fond du fossé. Par ailleurs, les terres provenant de la brèche qu’on ferait à ce rempart, ne seraient pas suffisantes pour combler le fossé, parce qu’on ne lui donne que peu de hauteur qu’afin qu’il puisse mieux se soutenir.


Neuf-Brisach — Contregarde 9 (demi-revêtement) avec sa berme.
Neuf-Brisach — Contregarde 9 (demi-revêtement) avec sa berme.

Par contre, c’est encore cette faible hauteur qui rend la brèche d’autant plus praticable et fait que le rempart puisse être aisément escaladé, tant par les ennemis… que par les déserteurs.
Pour remédier à cet inconvénient, on dispose autour du rempart de deux rangs de palissades : l’un que l’on appelle fraise, est posé extérieurement dans l’épaisseur de ce rempart, au tiers de la hauteur à partir de son sommet ; l’autre rang de palissades est planté au milieu de la berme. Tous deux s’inclinent vers le fossé ; le premier, afin que ce qui tombe dessus en temps de siège, comme les pots à feu, bombes ou carcasses, puisse rouler dans le fossé. Le second, pour présenter un obstacle à l’ennemi et lui faire perdre l’équilibre, s’il entreprend de monter sur la berme dans l’intention de forcer son passage au travers des palissades. Ces deux rangs de palissades arrêtent aussi les déserteurs, car étant descendus sur la première, la fraise, ils risquent de s’empaler s’ils voulaient sauter sur la berme et au cas qu’ils y arriveraient, il leur reste encore à franchir le rang de palissades qui y est planté !

La disposition des palissades d'après un exceptionnel jeu de cartes :

[JEU DE CARTES SUR LES FORTIFICATIONS - XVIIIe] - [BOISSIERE (Gilles de la)] - Das Festung Baues Spiel : In welchem die unterschiedene Wercke, so zu beschützung der Festungen u. Lager dienen, fleissig u. eigentlich auf die allerneueste art, in grund gelegt, u. mit allen ihren beschreibungen, u. einer kurtzen und leichten Erklärung der Figuren welche in diser Kunst üblich und gebrauchlich, entworffen sind. Amsterdam, Peter Schenck, s.d. (vers 1706) ; juxtaposition de deux feuilles in plano, Deux planches gravées en taille-douce (61 x 46 cm).

Das Festung Baues Spiel

Das Festung Baues Spiel


À Neuf-Brisach, Vauban s'est contenté de faire planter des haies vives sur la berme… ce réalise, en quelque sorte, l'ancêtre des réseaux de fils de fer barbelés !


Vesting Bourtange (Pays-Bas) — Rempart en terre et sa berme
Vesting Bourtange (Pays-Bas) — Rempart en terre et sa berme

Les remparts les plus élevés ne sont-ils pas les meilleurs ?

Neuf-Brisach — Réduit de demi-lune 25Ils ont des avantages et des défauts… Un rempart fort élevé découvre bien dans les pièces des dehors et dans la campagne ; il est moins sujet à être enfilé par les ricochets ; la brèche que l’ennemi peut y faire est toujours très escarpée et les troupes doivent grimper assez haut pour donner l’assaut. Toutefois, ce rempart peut être battu d’assez loin et sitôt que l’assiégeant en aperçoit le pied, il y fait tirer en salves, c’est-à-dire toutes les pièces de canon à la fois, afin de réaliser en peu de temps une brèche praticable en faisant tomber dans le fossé suffisamment de décombres pour en entreprendre le passage et monter à l’assaut.

Vesting Bourtange (Pays-Bas) — Rempart en terre et sa bermeUn rempart peu élevé ne peut être battu que de près, les terres qui proviennent de son ouverture ne sont pas capables de favoriser entièrement le passage du fossé, sans que l’assiégeant ne soit obligé d’y jeter une très grande quantité de fascines. Par contre, ce rempart ne découvre pas assez le terrain environnant, il est plus aisément battu par le ricochet, la brèche en est plus praticable et l’assaut plus facile à donner.
C’est ainsi que, pour éviter les défauts d’un rempart trop haut ou trop bas, on les fixait ordinairement à quatre toises au-dessus du niveau de la campagne.

Les principales parties d’un rempart : le parapet, la banquette et le terre-plein.

Qu’est-ce qu’un parapet, une banquette et un terre-plein ?

Vesting Bourtange (Pays-Bas) — demi-lune faite de terre
Vesting Bourtange (Pays-Bas) — demi-lune faite de terre

Vesting Bourtange (Pays-Bas) — demi-lune faite de terre

Parapet…

Le parapet est la partie la plus élevée du rempart ; son objet est de couvrir le soldat. L’expérience ayant fait voir que les boulets s’y enfonçaient à la profondeur d’environ deux toises, on le faisait ordinairement de trois toises d’épaisseur, afin qu’il ne soit pas percé de part en part.
Le parapet comprend grossièrement trois parties : sa surface supérieure (la plongée) dont la pente est inclinée vers la campagne pour faciliter le feu jusque dans le fossé qui environne l’ouvrage, son talus intérieur et son talus extérieur quand il n’est pas revêtu.

Banquette…

La banquette est une épaisseur de terre ou de maçonnerie placée intérieurement au pied du parapet. Comme elle n’est ordinairement que de quatre pieds et demi plus basse que la crête du parapet, et que cette hauteur ne suffit pas pour couvrir de pied en cap le soldat qui doit voir et faire feu par-dessus, il supplée à ce défaut au moyen de trois sacs remplis de terre. Il en place deux sur la surface supérieure du parapet en laissant entre eux un petit intervalle pour passer le mousquet alors que le troisième est placé sur les deux autres de sorte que sa tête et ses épaules se trouvent couvertes par les sacs et le reste du corps par le parapet. La banquette se divise en deux parties, sa surface supérieure ou son marchepied et son talus, lorsqu’elle est de terre, qui sert à la soutenir.

Terre-plein…

Le terre-plein que l’on appelle appelle communément rempart — il s’agit bien d’un abus de langage — réalise un espace disposé plus bas que la banquette et d’une largeur de cinq ou six toises. Il sert à distribuer les troupes et le canon dans les endroits où on le juge nécessaire pour défendre la place et en empêcher l’accès. Son élévation au-dessus du niveau du terrain sert à en couvrir l’intérieur et sa masse contribue de manière essentielle à la résistance au rempart.
Le terre-plein du rempart comprend lui-même deux parties, sa surface supérieure ou horizontale et le talus qui le soutient du côté de la place. C’est dans ce talus qu’on nomme également talus intérieur (ou, plus rarement, glacis intérieur) que l’on réalise des rampes, des degrés ou des escaliers pour y monter des pièces d’artillerie ou des troupes.


Neuf-Brisach — Rampe d'artillerie aménagée dans le talus intérieur du rempart menant au terre-plein (Demi-lune 17)
Neuf-Brisach — Rampe d'artillerie aménagée dans le talus intérieur du rempart menant au terre-plein (Demi-lune 17)


Dr Balliet J.M. — 29 juin 2019

Largement inspiré par… DUPAIN (DE MONTESSON) - Les amusemens militaires : ouvrage également agréable et instructif : servant d'introduction aux Sciences qui forment les Guerriers. Paris, Guillaume Deprez, 1757.

L’ouvrage a été rédigé par un auteur jouissant de quelque notoriété, Dupain de Montesson (1715 ?-179. ?), un ingénieur géographe et ancien officier d’infanterie, auteur de plusieurs ouvrages. Bien que s’agissant d’un ouvrage de vulgarisation, il n’en reste pas moins intéressant surtout dans une perspective contemporaine qui méconnaît souvent les conditions réelles de l’art de la guerre à cette époque ! D’ailleurs, les difficultés d’une interprétation approximative contemporaine et celles des jeunes nobles du 18e siècle semblent, au regard de la préface rédigée par l’auteur, assez similaires ! L’ouvrage utilise une technique d’écriture alors très en vogue s’appuyant sur un dialogue imaginaire entre un jeune noble et différents interlocuteurs. Hier comme aujourd’hui, cette technique s’avère aussi plaisante qu’efficace. La préface de l’ouvrage permet d’en cerner les contours : « Il est un temps où les personnes de tout âge, & de tout sexe, & de toutes conditions s’entretiennent des opérations de guerre : les différentes positions des armées, les marches, les batailles, les sièges, & généralement tout ce qui s’y fait de part & d’autre intéresse le public. Chacun s’empresse d’apprendre ce qu’il peut y avoir de nouveau ou de raconter ce qu’il a appris, mais comme toutes les personnes qui s’en amusent, ne sont pas également capables d’en raisonner dans les termes de l’Art, on tâche ici de leur procurer les connaissances qui peuvent les mettre en état de le faire passablement. Le but principal qu’on s’est proposé dans cet ouvrage a été d’être utile à la Jeune Noblesse destinée à commander un jour les troupes de Sa Majesté […] ». L’ouvrage se divise en trois parties : « Dans la première, notre voyageur visite les fortifications d’une Ville de guerre ; là il voit un rempart, il apprend qu’il y en a de plusieurs sortes, & quels sont leurs avantages & leurs défauts ; on l’instruit de la nécessité & des propriétés des fossés, de ce qu’ils peuvent avoir de favorable ou de contraire à l’assiégé & à l’assiégeant, selon leurs différentes espèces ; il y apprend à connaître une demi-lune, un chemin couvert, &c. & leur utilité : on lui fait la description de tous les ouvrages qu’on emploie dans ce siècle, pour éloigner l’ennemi d’une enceinte, & on lui fait examiner toutes ces pièces. Enfin on rappelle un système de fortification sur lequel on raisonne avec lui, pour le mettre en état de juger sur les lieux, ou à l’aspect d’un plan de la bonne ou mauvaise disposition des parties qui composent un front, ainsi que des ouvrages qui sont au-delà. Dans la seconde, on l’entretient des préparatifs qui précèdent une déclaration de guerre de la nécessité de la manière de connaître un pays, où on fait une invasion ; il visite le camp entier d’une armée, celui de chaque corps de troupe en particulier ; il s’y instruit de l’ordre dans lequel les régiments sont campés ; de l’utilité des retranchements ; des lignes qu’on fait autour d’une place, ou pour couvrir un pays ; de la conduite que l’on tient quand l’ennemi approche des unes ou des autres ; comment s’indique & se fait la marche d’une armée : il y examine dans quel ordre les troupes de différents corps sont rangées en bataille ; il la voit donner, & il apprend dans la conduite des plus habiles généraux, comment se doit faire une retraite. La troisième partie est employée à le conduire aux travaux que l’on fait, pour pénétrer dans une Ville assiégée, il les voit par degrés dans l’ordre où ils se font. On lui montre les lieux où l’on place les bouches à feu, on l’instruit des différents objets pour lesquels on s’en sert, de leur manœuvre & des effets qu’elles produisent. On lui explique de quelle manière se fait la sape, comment on chasse l’assiégé de son chemin couvert ; ce que c’est qu’une mine ; comment on la fait ; comment on la charge ; comment on y met le feu ; de quel usage elle peut être à l’assiégé & à l’assiégeant : on lui fait voir une descente de fossé. On lui en enseigne la construction, ainsi que celle des ponts & des passages que l’on fait pour entrer dans les pièces. Enfin pendant que la ville capitule, on lui fait un tableau de la conduite d’un gouverneur de place en temps de paix & en temps de guerre, lorsque sa place est menacée, quand elle est investie & pendant la durée du siège. Par-là il acquiert une idée de la défense, qui le met en état de tirer ensuite tout le fruit possible de la récapitulation qu’on lui fait faire des travaux d’un siège. C’est alors qu’on l’entretient d’un projet pour défiler toutes les parties du logement qu’on fait sur le parapet du chemin couvert, & des avantages qui résulteraient de cette nouvelle façon de le couronner, au cas qu’on y aperçoive point de difficultés qui ne se sont pas présentées dans l’examen qu’on en fait avec lui. Cette récapitulation continuée jusqu’au moment où l’assiégé entre en composition est suivie d’une formule de capitulation & de l’évacuation de la place. ».

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